Mai 2015. La Trinité-sur-Mer.
Je suis en train de m’habiller sur le parking, je dois repartir en course pour terminer la Mini en Mai et me qualifier pour la Mini-Transat.
Mais là je craque un peu. Je me dis que je ne peux pas le faire. Je ne suis pas prêt. Je ne me sens pas à ma place.
Dure journée…
Mai 2017.
Sur le ponton des multicoques de légende, mon mini 742 m’attend fièrement.
Prêt à prendre une revanche. Et moi aussi.
Je suis serein, je rigole bien avec les copains.
J’ai même la visite sympathique de Sam Davies qui me donne des petits conseils avant d’aller travailler sur le trimaran ultim Actual !
On est 70 sur l’eau pour un départ sous spi.
Yves Le Blévec nous a concocté un parcours en baie de 30 milles,histoire d’être chaud avant de partir pour le large.
Et effectivement, c’est un peu chaud. Il ya du vent, ça joue des coudes, et ça casse un peu…au moins 7 abandons les deux premières heures.
Moi je ne suis pas là pour être le champion du monde de la baie de Quiberon, mon objectif c’est la Transat… Je joue la sécurité en prenant un peu de distance.
On passe le passage de la Teignouse, il y a entre 20 établis, c’est parti pour un grand bord de spi cap sur la pointe de Penmarch, cap à l’ouest en suivant la course du soleil couchant.
Le vent monte encore un peu avec la nuit qui arrive. Je prends un ris dans mon solent et je me décide à mettre le gennaker car il faut maintenant remonter un peu plus au vent pour faire cap vers la Pointe du Raz.
Là je m’envole ! Pendant 2 heures, le bateau glisse sans effort entre 10 et 13nds, la pleine lune est derrière moi, c’est grisant et je rattrape et double pas mal de concurrents.
Le vent mollit un peu dans la baie d’Audierne. Le pilote marche bien, je fais une première petite sieste.
Le Raz de Sein arrive rapidement, on va le passer à 50° du vent et heureusement le courant est avec nous. J’enroule le gennaker et je fais cap vers la prochaine bouée, Basse du Lys.
Là c’est parti pour le shaker, bien accroché, la descente fermée. Ça tape, ça mouille, ça cogne. Pas très agréable mais ça le fait. On est maintenant au près et heureusement on arrive à faire une route directe. Un camarade à moi en proto se fait surprendre par une vague qui le fait virer bien malgré lui…Je le vois sur la tranche dans le mauvais sens….je m’inquiète un peu, je regarde ce qui se passe, et dans ce moment où je suis sous le vent à le regarder, je me retrouve à faire la même erreur que lui….Larguer la bastaque en urgence, choquer le solent à contre….je m’en sors plutot bien et je retrouve ma route 3 minutes plus tard….lui aussi il s’en sort finalement….
La fatigue commence à peser un peu. Le froid et le vent qui cingle n’aident pas vraiment.
Ce bord paraît long. Mais voilà enfin la bouée.
J’abats en grand, j’envoie le spi médium sans faire d’erreurs. C’est reparti pour des surfs dans une mer assez formée.
L’aube se dessine derrière nous sur le continent endormi.
Je dois maintenant empanner.
Le bateau file toujours à 10nds, la mer est creusée.
Au moment d’envoyer l’empannage, alors que je suis en train de manoeuvrer, le pilote n’apprécie pas trop une petite vague, et je pars au lof.
Le bateau sur la tranche, le bruit du spi qui claque.
Je rétablis le bateau.
Et là je déchante. Le spi s’est coincé dans un des mousquetons qui tient le solent sur l’étai.
Je ne sais même pas comment c’est possible.
Je ne peux plus affaler le spi sans tout déchirer. Et je dois toujours empanner.
Je trouve la solution en larguant au fur et à mesure la drisse de solent puis la drisse de spi.
C’est pénible et compliqué.
Mais je finis enfin par tout affaler sur le pont. Je suis rincé.
J’empanne enfin, je me remets sur la route. Je passe l’Occidentale de Sein.
Cap sur la Gironde et la bouée BXA à plus de 500km devant moi.
Enfin on va retrouver le large et la solitude.
Car en vrai c’est un peu ce que l’on vient chercher en fait.
Au début il y a toujours un peu d’appréhension. On se dit qu’on est vraiment rien sur cette coque ridicule. Le vide en-dessous. Le vide au-dessus.
Et puis on s’y fait, on s’adapte à cet équilibre. On arrête de rationaliser ces pensées.
Bref, je me retrouve sur un cap au sud pour aller chercher une bascule de vent qui est prévue.
Je dors, je récupère de cette première journée agitée.
Et ça y est la machine est en route. Le temps a disparu.
Des siestes de 20 minutes. Le soleil qui se couche.
Seul dans la nuit, il n’y a vraiment plus personne.
Au petit matin, le temps est gris, et la pluie qui claque sur le pont me réveille.
20nds au près. C’est le petit passage de front qui était prévu.
En fait j’étais le plus au sud et le plus à l’ouest de la flotte, quasiment au centre de cette petite dépression. Du coup, rien de bien méchant, alors que mes camarades plus à l’Est m’apprendront plus tard qu’ils auront essuyer un grain à 38nds.
Je profite toujours du large. J’affine mes réglages. Je fais marcher le bateau.
Et en fin de journée, je redécouvre des minis sur mon écran AIS.
Martin, Marie et Tim sont sous mon vent. J’ai un meilleur angle qu’eux dû à mon décalage au sud.
On reprend contact à la VHF.
Toujours agréable malgré cette envie de solitude de partager une conversation avec un reste d’humanité.
Le soleil devient liquide. Le ciel étale ses aplats orangés. Une hirondelle de mer joue dans mes voiles.
Je rattrape et double mes amis à mesure que le vent tombe.
La bouée BXA est là. Immobile sous cette pleine lune tranquille.
Je repasse sous spi. Cap vers l’ile de Ré.
Je ne dors pas vraiment. J’essaye de faire avancer le bateau mais c’est dur.
La lueur du jour résonne sur des nuages gris. La mer est plate. Monet aurait adoré ce début de journée.
J’arrive à me sortir un peu de ces méandres véliques en cherchant la vitesse et non la route.
Je ne vois plus mes amis, mais j’en retrouve d’autres entre Oléron et Ré.
Dans 5 mois au même endroit, on sera en route vers les Canaries.
Je suis content de passer sous le pont de l’île de Ré de jour. Le courant est avec nous en plus.
On passe le pont au portant et on ressort au près. Un grain passe. Prise de ris. Pluie.
Je suis au contact avec deux Pogo 2.
Je passe le gennaker. Et lentement mais sûrement je vais un peu plus vite.
Je dors un peu. Les Sables d’Olonne déjà sur tribord.
Un grain noir en approche. Mais rien en dessous finalement. 17nds établis. Le vent refuse un peu.
Je roule le gennaker. Je reste sous pilote, les jambes dans les filières.
Une dernière sieste. Un réveil panique près d’un cargo. Un carré de chocolat noir.
On parle de la lune avec Nolwenn. Je réveille Albert qui fait un mauvais cap.
Je guide Patrick qui ne peux plus lâcher sa barre. Fred nous fait un peu peur car il ne répond plus à la VHF. Le CROSS le réveille en lançant une alerte à la VHF.
La baie de Quiberon est balayée, un soleil doré nous réveille.
Je remets le gennaker. Je rattrappe 2 protos. Je passe la ligne heureux dans la rivière.
Yves Le Blévec, le directeur de course me prend en remorque.
Un énorme grain détrempe les pontons.
Il est 7h30. Tout est endormi.
A terre personne ne sait vraiment ce que nous avons vécu.
Et c’est très bien comme ça.